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Article de revue

Internet et santé publique : comprendre les pratiques, partager les expériences, discuter les enjeux

Pages 5 à 12

Notes

  • [1]
    Rédactrice en chef par interim Revue Santé publique. SFSP 2 rue Doyen Jacques Parisot BP 7 54501 Vandœuvre-lès-Nancy cedex.
  • [2]
    Responsable de la bibliothèque médicale. Centre Ascodocpsy 51 CH Ste Anne 1 rue Cabanis 75674 Paris cedex 14.
  • [3]
    Professeure, département de communication sociale et publique - Directrice intérimaire Groupe de recherche Médias et santé : www.grms.uqam.ca. Université du Québec à Montréal Case postale 8888, succursale Centre-Ville Montréal (Qc) H3C 3P8.
  • [4]

Internet et interventions en santé publique : éléments d’une rencontre

1Depuis plusieurs années, l’internet a investi le champ de la santé transformant les processus de construction et de circulation des savoirs, les relations entre les acteurs et les pratiques de santé. L’internet comme source d’information du public, sur les maladies, les traitements, les facteurs de risques, les ressources professionnelles et les établissements d’une part et, d’autre part, l’internet comme outil de travail collaboratif pour les différents professionnels de santé, engendrant une réorganisation de certaines pratiques professionnelles, figurent parmi les deux principaux axes de transformation, connus et reconnus par les professionnels et les chercheurs du champ de la santé publique.

2L’internet dédié à la santé s’est ainsi constitué, au cours de la dernière décennie, comme un objet de recherche à part entière. Une recherche rapide sur les principales bases de données bibliographiques génère des milliers de références discutant de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC), plus particulièrement de l’internet, en lien avec la santé. La spécificité de la recherche sur l’internet et la santé est d’être multidisciplinaire : médecine, sociologie, psychologie, géographie, sciences de l’éducation, sciences de l’information… figurent parmi les principaux champs de recherche étudiant les TIC et l’internet, en lien avec la santé. Il est ainsi tentant de voir apparaître un nouveau champ de recherche que l’on peut étiqueter de e-health studies [3]. Selon le portail de la Commission Européenne dédié à la Société de l’information, ehealth – ou santé en ligne, ou encore « e-santé » – renvoie à l’application des technologies de l’information et de la communication à l’ensemble des fonctionnalités qui impactent sur la santé des citoyens et des patients [4].

3Cette définition reflète le souci de réorganisation, ou d’innovation dans l’organisation, des services de santé, incluant les possibilités offertes par l’avènement des TIC et ce, pour un large panel de professionnels de la santé et des soins, mais aussi pour les décideurs politiques, les gestionnaires de santé et plus généralement pour les malades et le public. Ce qui est plus particulièrement en jeu et qui a le plus mobilisé les chercheurs en sciences sociales, est l’utilisation de l’internet et des médias électroniques dans la diffusion des services de santé et de l’information en lien avec la santé [2]. Actuellement, l’internet apparaît en effet comme un élément incontournable des services de santé, notamment dans les relations des administrations en charge de la santé avec le public et, plus généralement, de la gestion personnelle de la santé.

4L’utilisation de l’internet en tant que support pour des interventions de santé publique, à visée essentiellement préventive constitue un troisième axe de transformation, qui a par contre été moins exploré. Les pratiques et les expériences de l’internet en santé publique restent ainsi assez peu documentées dans la littérature scientifique, notamment francophone, et ce, alors même que l’outil suscite un intérêt manifeste chez les professionnels développant des interventions de prévention et promotion de la santé. Cet intérêt des professionnels découle tout d’abord de la popularité de l’internet auprès du public pour la recherche d’informations sur la santé et de son potentiel de diffusion rapide et à grande échelle. Les propriétés interactives de l’outil rendent par ailleurs possible l’instauration de communications personnalisées avec les publics cibles, qui semblent plus efficaces que les interventions médiatiques à large diffusion pour amener des changements de comportements [5, 6, 8]. De plus, la recherche d’informations en ligne constitue généralement une démarche active de l’utilisateur, ce qui a pour conséquence d’en améliorer la réception. Enfin, l’outil offre une certaine garantie d’anonymat, caractéristique valorisée par certaines populations qui peuvent craindre de faire l’objet de discrimination, et concernant certaines problématiques de santé (par exemple, la santé sexuelle, la toxicomanie, et même la santé mentale).

5Les interventions en ligne peuvent prendre différentes formes : actions d’éducation à la santé, programmes de prévention, promotion de la santé et sensibilisation aux risques de santé, dispositifs d’accompagnement mais aussi d’intervention dans la prise en charge d’une maladie chronique ou « simples » relais d’information pour des populations isolées ou marginalisées. Celles qui visent la promotion des saines habitudes de vie, parmi les plus documentées, concernent notamment, l’écrasement de la cigarette, l’engagement dans l’activité physique, la saine alimentation, et la prévention des Infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) [1, 9-11], et ont largement ciblé les jeunes publics. Ces interventions misent de plus en plus sur le potentiel qu’offrent les médias sociaux, notamment les activités de réseautage, dont les usages se développent dans tous les pays et semblent traverser les barrières sociales.
Toutefois, de manière générale, les actions utilisant l’internet comme outil de prévention et de promotion de la santé restent malgré tout assez peu relayées et insuffisamment documentées. Il serait, notamment, important de recenser l’ensemble des domaines et des populations ciblés mais aussi de mieux répertorier les objectifs visés, de cerner les processus de développement des interventions (qui sont les professionnels concernés ? s’appuient-ils sur des modèles d’intervention ?) et les activités de l’internet qui sont privilégiées. Il serait également utile de mieux identifier les interventions qui sont le plus efficaces pour changer les comportements et le plus attractives pour les populations et de voir aussi, comment elles se comparent mais aussi s’articulent aux modes plus traditionnels d’action [7]. Enfin, il importe de savoir si les interventions de santé publique en ligne ne risquent pas de creuser l’écart entre les utilisateurs, tant les usages et les capacités d’appropriation de l’information relative à la santé semblent varier selon le niveau de scolarité [4].

Développer et animer des interventions de santé publique avec l’internet

6Ce numéro hors série dédié à l’utilisation de l’internet dans le champ de la santé publique propose d’explorer certains de ces questionnements associés au développement et à l’élaboration d’interventions de santé publique ciblant la population générale ou des publics spécifiques. Dès l’appel à articles lancé à l’automne 2008, le souhait a ainsi été de recueillir les expériences et les pratiques d’acteurs de santé publique utilisant l’internet dans un cadre interventionnel auprès du public. L’ambition de ce numéro hors série est en effet, d’ancrer ces questionnements dans des expériences concrètes de l’internet mises en œuvre par des acteurs de santé publique auprès de et, dans certains cas, en collaboration avec, leurs publics. Toutefois, Il ne s’agit pas tant, dans ce numéro, de discuter d’une technologie spécifique, mais bien de réfléchir sur des pratiques nouvelles, renouvelées ou innovantes grâce à la diffusion et le développement du support médiatique que constitue l’internet.

7Trois questionnements étaient initialement posés. Le premier concernait la nature de ces actions qui restent encore peu documentées, notamment dans le monde francophone. Ce numéro hors série se proposait d’illustrer, par des exemples d’actions, comment l’internet peut être utilisé comme outil d’intervention. Deuxièmement, le questionnement portait sur les publics ciblés par ces interventions : sont-elles davantage tournées vers le « grand » public ou s’orientent-elles vers des publics isolés, précarisés, marginaux ? Comment les caractéristiques du public cible viennent-elles moduler l’utilisation de l’internet dans ces interventions ? Quels en sont les impacts sur le public ciblé ? La question de l’évaluation était également posée. Enfin, le troisième questionnement était celui de l’objectif des interventions : s’agit-il de prévenir, d’accompagner, de promouvoir ? De quelles pathologies, risques, comportements de santé, habitudes de vie… est-il question ? S’agit-il de poursuivre en ligne une action entamée « hors ligne » ? S’agit-il, au contraire, de fonctionner « autrement » ?

8Pour répondre à ces questions, 19 articles ont été proposés à la rédaction ; 11 articles ont été retenus et composent le numéro hors série. Dans une première partie, il s’agit de dessiner les contours de la problématique de l’utilisation de l’internet en santé. Les articles de Marc Lemire, Emilie Renahy et collègues et de Michel Legros offrent trois perspectives sur l’utilisation de l’internet : le processus de responsabilisation qu’implique cette utilisation, l’interrogation des inégalités que peut porter l’internet comme outil d’information en santé et enfin, la constitution de savoirs expérientiels à travers le développement des blogs personnels santé-maladie. L’article de Joseph Levy et collègues questionne l’investissement de l’espace internet par des organismes communautaires actifs auprès de minorités sexuelles diffusant de l’information santé via l’internet ; montrant les potentialités de l’espace internet, les auteurs révèlent également diverses difficultés pour ces organismes, notamment financières et technologiques. Claude Giroux poursuit sur les potentialités qu’offre l’internet, cette fois en matière de communication institutionnelle : ajout aux composantes traditionnelles des campagnes d’information, l’internet soulève d’autres questions et dresse de nouveaux défis pour les institutions, dont l’évaluation tendant à mesurer l’accès mais n’offrant pas encore d’indicateurs de lecture ou de compréhension par le public, et l’interactivité peu développée dans ces campagnes.

9La seconde partie du numéro est consacrée aux pratiques et expériences, et à leur évaluation. Six articles sont proposés, le premier donnant la parole à Delphine Hervier, psychologue, qui développe comment l’internet est venu modifier un espace d’expression, requérant des adaptations non seulement de supports mais aussi de compétences professionnelles et de présentation de soi de la part du public ciblé. Les deux articles suivants étudient l’impact de campagnes utilisant l’internet sur les comportements, en matière d’alimentation et d’activité physique dans le cas de l’article de Lise Renaud et Monique Caron-Bouchard, en matière de cessation tabagique pour l’article de Mauricio Gomez Zamudio et Lise Renaud. L’internet est ici questionné en tant que support déterminant un changement de comportement. Sans prétendre à un changement induit par l’internet, Lise Renaud et Monique Caron-Bouchard démontrent comment l’environnement virtuel et ses innovations communicationnelles peuvent favoriser une prise de conscience facilitant le changement de comportement. De même, Mauricio Gomez Zamudio et Lise Renaud démontrent l’impact positif de la lecture de courriels sur la cessation tabagique. Catherine Cecchi illustre ensuite le développement d’un site internet dédié à la périnatalité, déroulant ainsi l’historique d’un projet d’information par des professionnels de la santé périnatale auprès de leur public, relevant les enjeux du projet, en termes de production scientifique et de collaboration interprofessionnelle, ainsi qu’en termes de positionnement d’un site internet par rapport à un public informé, averti, à la recherche de repères qualitatifs sur l’internet. Les deux articles concluant ce numéro portent sur deux initiatives internet, l’une, française, s’adressant aux personnes vivant avec le VIH/sida et l’autre, québécoises, s’adressant aux hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes ou HARSAH. Daniela Rojas Castro et collègues développent la conception du site internet SERONET, à partir d’une démarche communautaire, menant à un montage du site internet en collaboration avec les utilisateurs ; après un an d’existence, les auteurs font le point sur l’appropriation de cet espace internet. La perspective évaluative est celle de Jean Dumas et collègues, concernant un site de prévention pour les populations vulnérables à l’infection VIH, REZO : les auteurs relèvent les limites de l’évaluation reposant sur l’usage des questionnaires en ligne, ainsi que les limites de l’intervention en ligne qui nécessite de s’inscrire dans un continuum de services, basé à la fois sur des approches en ligne et hors ligne.
Ce numéro hors série répond ainsi aux objectifs fixés lors du lancement de l’appel à articles. Les contributions qui le composent viennent enrichir indéniablement l’état des connaissances en matière d’interventions de santé publique utilisant l’internet, notamment sur les pratiques françaises et québécoises. Sont reprises des interventions développées tant auprès des publics ciblés que de la population générale. Les approches sont diversifiées, articulées aux pratiques existantes hors ligne, ces dernières s’avérant d’ailleurs gages de succès des interventions. Certes, il reste à explorer l’internet comme support d’intervention en santé, tant du point de vue des pratiques que des implications du développement de telles interventions pour la population. Les contributions de ce numéro hors série apportent cependant des éléments de réponse et un éclairage sur les transformations liées à l’utilisation de l’internet en santé publique, reflétant les pratiques innovantes d’acteurs de santé soucieux de s’adresser au mieux à, et de travailler avec, la population.

Questions de langage…

Élaboré en collaboration avec le Groupe de Recherche Médias et Santé (GRMS) [1] et de l’Association de Santé Publique au Québec (ASPQ) [2], ce numéro hors série est franco-québécois. Si auteurs français et québécois se retrouvent aisément dans les thèmes et enjeux discutés dans les articles, les particularités langagières associées à l’internet se sont fait sentir de part et d’autre. Il a été choisi de ne pas les gommer : clavardage ou chat, forum ou babillard, courriers électroniques ou emails… la question n’est pas tranchée, d’autant que les utilisations alternées n’empêchent aucunement la compréhension des textes proposés.
Une interrogation portait cependant sur le terme-même d’« internet ». Diverses formulations sont trouvées dans la littérature francophone : Internet, internet, l’Internet, l’internet… Il a paru judicieux, dans ce numéro, d’harmoniser cette formulation : l’internet. L’utilisation d’un substantif accompagné de son article repose sur la volonté de faire rejoindre l’internet le cercle des médias de masse que sont « la » radio, « la » télévision, « la » presse…

Bibliographie

Bibliographie

  • 1
    Bailey JV, Murray E, Rait G, Mercer C, Morris RW, Peacock R, Cassell J, Nazareth I. Interactive computer-based interventions for sexual health promotion. Cochrane Database of Systematic Reviews 2007, Issue 2. Art. No.: CD006483. DOI:10.1002/14651858.CD006483
  • 2
    Gustasfson DH, Wyatt JC. Evaluation of Ehealth Eystems and Services, British Medical Journal, 2004, 328(7449): 1150.
  • 3
    Kivits J. (à paraître) E-health and renewed sociological approaches of health and illness. Dans N. Prior et K. Orton-Johnson (Eds.) Rethinking Sociology in the Digital Age. Palgrave.
  • 4
    Korp P. Health on the Internet: implications for health promotion, Health Education Research 2006 21(1): 78-86; doi: 10.1093.
  • 5
    Lustria MLA, Cortese J, Noar SM, Glueckauf R. Computer-tailored health interventions delivered over the web: Review and analysis of key components. Patient Education & Counseling, 2009, 74(2) : 156-173.
  • 6
    Neuhauser L, Kreps GL. Rethinking communication in the e-health era. Journal of Health Psychology 2003; 8(1) : 7-23.
  • 7
    Noar S. « A 10 year retrospective of research in health mass media campaigns : where do we go from here? », Journal of health communication, 2006 vol. 11, no. 1 : 21-42.
  • 8
    Norman GJ, Zabinski MF, Adams MA, Rosenberg DE, Yaroch AL, Atienza AA. A review of eHealth interventions for physical activity and dietary behavior change. American Journal of Preventive Medicine, 2007, 33(4) : 336-345.
  • 9
    Tate DF, Wing RR, Winett RA. Using Internet technology to deliver a behavioral weight loss program. Journal of the American Medical Association, 2001, 285(9) : 1172-1177.
  • 10
    Wantland DJ, Portillo CJ, Holzemer WL, Slaughter R, McGhee EM. The Effectiveness of Web-Based vs. Non-Web-Based Interventions: A Meta-Analysis of Behavioral Change Outcomes,Journal of Medical Internet Research, 2004, 6(4): e40.
  • 11
    Woodruff SI, Conway TL, Edwards CC, Elliott SP, Crittenden J. Evaluation of an Internet virtual world chat room for adolescent smoking cessation. Addictive behaviors; 2007, 32(9): 1769-1786.

Notes

  • [1]
    Rédactrice en chef par interim Revue Santé publique. SFSP 2 rue Doyen Jacques Parisot BP 7 54501 Vandœuvre-lès-Nancy cedex.
  • [2]
    Responsable de la bibliothèque médicale. Centre Ascodocpsy 51 CH Ste Anne 1 rue Cabanis 75674 Paris cedex 14.
  • [3]
    Professeure, département de communication sociale et publique - Directrice intérimaire Groupe de recherche Médias et santé : www.grms.uqam.ca. Université du Québec à Montréal Case postale 8888, succursale Centre-Ville Montréal (Qc) H3C 3P8.
  • [4]
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